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02/12/22[INTERVIEW] Après une belle performance, Isabelle Joschke se confie sur sa Route du Rhum
Isabelle Joschke a franchi la ligne d’arrivée de la Route du Rhum mercredi 23 novembre à Pointe-à-Pitre, en remportant la 9e place en classe IMOCA. Après avoir été mise en péril par des conditions météorologiques instables, des avaries de parcours et des modifications de stratégie de dernières minutes, la skipper MACSF, soulagée et fière de sa réussite, se confie sur sa participation à la 12e édition de la Route du Rhum - Destination Guadeloupe.
Les difficultés étaient présentes, mais j’ai réussi à faire avec et finalement, je l’ai plutôt bien vécu car j’ai aussi trouvé des moments pour me ressourcer.
Tout d’abord, comment vas-tu ? Es-tu heureuse d’avoir retrouvé la terre ferme ?
Je vais très bien. J’étais vraiment contente d’arriver parce que les dernières 48 heures de course ont été particulièrement difficiles. Je n’ai pas pu dormir pendant les deux dernières nuits. Donc je n’avais qu’une hâte, c’était de me poser et de récupérer un peu de sommeil.
Comment as-tu vécu ces 13 jours en solitaire ?
Ça n’a pas été facile, il y a eu un peu de tout. Ça a été dur du début à la fin avec, à chaque tronçon de la course, des difficultés différentes. Au début, c’était la succession des fronts et des dépressions qu’il fallait négocier. Il y a eu le passage de deux premiers fronts, puis du troisième que je suis allée chercher, où là c’était beaucoup de navigation au près, le bateau qui tapait, des vents qui pouvaient être très forts et très instables, ce qui fait que ce n’était pas possible de dormir car il fallait être prêt à choquer les voiles à chaque instant. Après, c’était plus paisible. C’était chouette de retrouver un peu de calme mais, en même temps, pour les nerfs, ce n’était pas évident, surtout pour traverser le centre de l’anticyclone. Les difficultés étaient présentes, mais j’ai réussi à faire avec et finalement, je l’ai plutôt bien vécu car j’ai aussi trouvé des moments pour me ressourcer.
Quelles ont été les plus grandes difficultés que tu as rencontrées sur ton parcours ?
En début de course, un de mes deux winchs principaux s’est cassé. Comme ils servent à régler les voiles d’avant, ils sont les pièces maitresses des manœuvres, donc en perdre un n’a pas été évident. Chaque manœuvre est devenue beaucoup plus physique et risquée. Et moi qui ai plutôt un petit gabarit et peu de force, j’ai besoin que ces outils fonctionnent. Alors, à ce moment-là, j’ai réellement senti que le niveau de difficulté de ma course augmentait.
Ensuite, en milieu de parcours, mon bateau a viré de bord parce que le vent était trop fort et qu’il aurait fallu que j’arrive sur le pont plus rapidement pour choquer les voiles.
La dernière nuit, j’ai dû faire face au grain où le vent est monté jusqu’à 50 nœuds. C’était trop pour la voilure en position. J’avais encore la grand-voile haute avec le petit gennaker. Du coup, le bateau est parti à l’abattée, c’est-à-dire qu’il a empanné sauvagement et qu’il s’est couché. A partir de là, les avaries se sont multipliées : j’ai eu de la casse au niveau des lattes de grand-voile, de mon écran d’ordinateur, beaucoup d’eau est entré dans le bateau… Et ça n’a pas été simple. Comme c’était la dernière nuit, je savais que je jouais la 9e place et que je pouvais perdre l’avance que j’avais gagnée. Il a fallu repartir aussi vite, remettre le bateau sur ses rails, réparer ce qu’il était possible de réparer et repartir sans craindre le prochain grain.
Bien évidemment, ces avaries ont eu des répercussions sur ma stratégie de course. Par exemple, lorsque le système de blocage de drisse ne fonctionnait pas, je n’ai pas pu utiliser la drisse du grand gennaker, alors j’en ai utilisé une autre, plus basse, ce qui m’a amenée à une stratégie moins à l’ouest et plus vers le sud. Par conséquent, j’avançais moins vite.
Finalement, quelles stratégies as-tu choisies ?
Bien que j’aie dû faire face aux avaries, je dirais que globalement j’ai choisi des stratégies qui correspondent à mon IMOCA. Je n’ai pas cherché à faire un maximum de portant parce que ce n’est pas l’allure préférée de mon bateau. L’important était de faire au plus simple et de me faire confiance. Par exemple, à la sortie du golfe de Gascogne, quand on allait dans le sud, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de vent et j’ai fait très attention à ne pas tomber. J’ai cherché une trajectoire où je pouvais profiter de la pression. Sur ce coup-là, j’ai bien joué, j’ai choisi de faire un petit peu plus de nord pour rester dans le champ de pression afin de bénéficier des conditions favorables pour que mon bateau avance vite.
Ensuite, il y a eu le premier front à négocier avec une zone sans vent derrière le front. Et là, je pense que je ne l’ai pas mal négocié non plus en choisissant une stratégie qui était d’aller vite et haut, sans perdre de temps parce que plus on rentrait tard dans le front, moins on y restait longtemps. La traversée du deuxième front s’est également bien passée. Il y a eu un autre moment très stratégique qui m’a permis d’être bien placée tout le long de la course ; quand j’ai décidé d’aller chercher un troisième front et de passer au sud d’une dépression au nord des Açores, alors qu’une partie de la flotte a fait le choix d’aller tout droit et d’aller chercher tout de suite les alizés.
Es-tu satisfaite de ta performance et de celle du bateau ?
Je suis très satisfaite parce que je pense avoir vraiment bien navigué du début à la fin. J’ai pris des risques au moment où il fallait en prendre ; j’ai aussi su ne pas en prendre à des moments où j’aurais pu, ça aurait peut-être gagné, mais j’avais aussi envie de conserver ma place dans la flotte. J’ai réussi à tenir bon au portant alors que mon bateau allait moins vite que ceux de mes concurrents, et ça, j’en suis vraiment très contente.
Comment vas-tu reprendre des forces après un effort physique et mental aussi important et prolongé ?
Après avoir passé plusieurs nuits sans dormir – ou tout au plus 15 minutes par nuit – il est important pour moi de me reposer autant que possible. Dans ce cas, je me mets en mode régénération. J’essaie vraiment de prendre soin de mon organisme. Je mange des vitamines et des fruits. L’idée c’est de refaire le plein d’énergie avec beaucoup de respect pour moi. Je sais que j’ai tout donné pendant la course et maintenant c’est l’inverse, j’ai le droit de recevoir. En Guadeloupe, je suis allée me ressourcer dans un lieu proche de la nature, au calme. Je suis allée très vite pendant la course mais maintenant, je vais ralentir.
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Mardi 22 novembre à 16 heures 41 minutes et 54 secondes (heure métropolitaine), Isabelle Joschke a franchi la ligne d’arrivée de la Route du Rhum à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe. Au terme d’un périple en solitaire à travers l’océan Atlantique, la skipper MACSF s’offre une très belle 9e place dans la catégorie IMOCA et s’impose comme la deuxième femme sur les 7 engagées, toutes classes confondues, à boucler cette 12e édition.
A terre comme en mer, une alimentation équilibrée et énergisante est essentielle pour Isabelle Joschke. A l'occasion de la Route du Rhum, la skipper MACSF s'est offerte un avitaillement de qualité, composé de plats préparés par Benjamin Larue, chef cuisinier et Eric Guérin, chef étoilé. Avec ce menu digne d'un grand restaurant, adapté à ses goûts et à ses besoins, la skipper montre que même en compétition, il est possible de conjuguer plaisir et performance.